jeudi 18 décembre 2025

Heur et heure

 

heur

Un heur était un destin favorable, une bonne chance, ce qui arrive d'heureux. Avoir l'heur de ... signifie avoir la chance, le plaisir de ... Ce nom vient du latin augurium « augure, interprétation des présages, présage (dans la religion romaine) » par l'intermédiaire de la forme agurium du bas latin et glissement au sens de « sort, condition, destinée » ; la collision homonymique avec heure, notamment dans des expressions avec bon eur ou mal eur, est à l'origine de l'ajout de l'initiale h au Moyen Âge.

Les noms bonheur et malheur sont composés à l’aide d’heur, lui-même issu du latin augurium, « présage favorable ». À l’origine, et conformément à l’étymologie, heur s’écrivait sans h et se rencontrait sous les formes öur, eür ou eur. Ce nom signifiait « sort, fatalité, destin ». À partir du 14ème siècle, la graphie heur est apparue, sans doute par analogie avec le mot heure. Cette dernière forme est le fruit d’une réfection savante : le latin hora a en effet évolué en or(e), forme que l’on retrouve dans les adverbes encore et lors et la conjonction de coordination or. Cette modification graphique était liée à l’homonymie des deux termes, mais aussi au fait que l’on voyait de l’un à l’autre un rapport de cause à effet, l’heure de naissance étant censée influer sur la destinée et donc sur le bonheur ou le malheur des individus. Cette croyance, ajoutée au fait qu’au Moyen Âge l’orthographe était mal fixée, explique que l’on trouve, surtout dans les composés, une grande variété de formes avec ou sans h.

En effet si on peut lire dans un sermon de saint Bernard « Bienaureiz sera cil ki demorrat en sapience » (« Bienheureux sera celui qui restera dans la sagesse »), Pierre de Larivey écrit, quant à lui, dans Les Esprits, une pièce dont s’inspirera Molière pour son Avare, « Les pauvres femmes sont cause de tous maux et ne bienheurent jamais une maison que par leur mort ». De même, Guernes de Pont-Sainte-Maxence, auteur plus connu sous le nom de Garnier, écrit au 12ème siècle, dans sa Vie de saint Thomas Becket, « De tuz les cheitis, sui li plus malourez » (« De tous les infortunés, je suis le plus malheureux »), alors que son homonyme, Robert Garnier, écrira, quatre siècles plus tard, dans Antigone ou la Piété, « Et ne va malheurer de mon malheur ta vie ».

Ce rapprochement entre la bonne ou la mauvaise fortune et le moment de la naissance va être souligné par des formes comme malheure, contraction de male heure, que rien ne distingue phonétiquement de malheur, et que l’on rencontre dans des expressions comme De malheure suis né.

Mais c’est par la croyance aux horoscopes, nom qui est emprunté, par l’intermédiaire du latin horoscopus, « constellation sous laquelle on est né », du grec hôroskopos, « qui examine l’heure de naissance », que l’on va lier par des rapports de dépendance l’heur, les heures et les astres. Ces rapports de dépendance, notre langue les dit encore avec des expressions comme être né sous une bonne étoile et être né sous une mauvaise étoile. Mais bien vite, on va passer de la chance ou de la malchance qu’ont eue tel ou tel en naissant à leur caractère, et l’on dira d’eux qu’ils sont bien lunés ou mal lunés. Enfin, ceux qui sont nés sous une mauvaise étoile vont être peu à peu perçus comme responsables de ce qui leur arrive et l’on confondra assez vite l’infortuné et le méchant (on constate le même glissement de sens avec la forme misérable). Ainsi le terme malotru, dans lequel on reconnaît le radical astre, a d’abord désigné une personne née sous une mauvaise étoile, sens aujourd’hui disparu, avant de désigner quelqu’un de mal élevé et de grossier. Son antonyme benastru, qui désignait, dans la langue du Moyen Âge, une personne née sous une bonne étoile, a disparu du français courant. Il ne se conserve plus guère aujourd’hui que dans certains parlers régionaux de l’Ouest de la France, et en particulier en Mayenne.

Académie française.



Le français a exprimé la notion de bonheur par un nom venant, par une évolution populaire, de augurium. Ce mot désignait, dans la langue religieuse des Romains, le présage tiré du vol des oiseaux. Augurium a donné l’ancien français eür, dissyllabique. En évoluant en français eür a subi deux modifications, l’une purement orthographique : l’h initial dont il a été doté, d’après le mot heure (du latin hora) – l’autre, phonétique, qui a consisté d’abord dans la réduction de e-ü dissyllabique à u, fait général que nous retrouvons dans sûr, issu de seür, dans armure, issu de armeüre –, ensuite dans le passage de u à eu. Ce passage résulte de l’hésitation qui a existé jusqu’à la fin du 16ème siècle entre u et eu, surtout devant r. C’est ainsi que burre est devenu beurre, tandis qu’inversement meure est devenu mûre. On aboutit ainsi à un mot heur.

Par son origine le sens d’heur n’était ni favorable ni défavorable. On pouvait l’orienter à l’aide d’un adjectif en disant bonheur ou malheur. Mais, comme d’autres mots relatifs à l’issue d’un événement (fortune, succès, chance), il a pris un sens favorable et heur s’est trouvé synonyme de bonheur. Heur est encore très vivant dans la première moitié du 17ème siècle. Corneille l’emploie couramment : T’en souviens-tu, Cinna ? Tant d’heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire. (Cinna, V, 1.) On le trouve aussi chez Molière. Dans L’École des femmes Arnolphe invite Agnès, qu’il va épouser, à bénir toute la journée l’heur de sa destinée (III, 2 ; v. 680). Mais on le chercherait vainement dans l’œuvre de Racine. Dans un passage du chapitre « De quelques usages » où il traite des mots vieillis ou disparus, La Bruyère constate avec regret, semble-t-il, que le mot n’est plus en usage : « Heur se plaçait où bonheur ne saurait entrer ; il a fait heureux qui est français et il a cessé de l’être. » Heur ne subsiste plus que dans un très petit nombre de locutions. Ainsi l’on peut dire par ironie : « Il n’a pas l’heur de vous plaire. » Littré enregistre encore le dicton : « Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde » (c’est-à-dire : tout est incertain dans les destinées humaines). Nous ne croyons pas qu’il soit très usité. Il est légitime de se demander pourquoi heur a disparu. On peut penser à des homonymies fâcheuses avec heure : quelle heure avez-vous ? pouvait, à l’audition, se comprendre de deux façons. En savoir plus : Georges Gougenheim.

Le nom (un) bonheur est composé de bon et heur du latin augurium « augure, interprétation des présages, présage (dans la religion romaine) ».

Le nom (un) malheur est composé de mal et heur.

Le nom (une) félicité est emprunté au latin classique felicitas « bonheur, chance ».

Voir aussi : un ou une happy end (un dénouement heureux), des happy few (un ensemble restreint de privilégiés).

Heur s'est d'abord écrit eür, aür (1160). Le mot vient du latin impérial agurium, en latin classique augurium « présage » qui subit une syncope à la post-tonique. Il a été confondu avec heure venu de hora. Les composés bonheur et malheur subissent la même erreur. Le mot est en provençal auguri, augur, agur, en espagnol aguero, en portugais agouro, en italien augurio. Le terme a été disyllabique jusqu'au 16ème siècle. En savoir plus : site de Dominique Didier.

heure, heure-machine

Une heure est l'espace de temps égal à la vingt-quatrième partie du jour, d'une durée de 60 minutes ; un moment convenu, prévu, fixé ; un moment du jour plus ou moins long ; un moment de la vie d'un individu, d'une société. Ce nom vient du latin hora, unité de mesure du temps désignant un point aussi bien dans le temps en général que dans la journée d'après le système de division du temps, ou une durée.

La tournure « c’est quelle heure ? » fait l’objet d’une certaine stigmatisation par les locuteurs du français qui ne disposent pas de ce tour dans leur usage (si vous ne nous croyez pas, lisez voir les commentaires sous ce post Facebook). D’aucuns diront qu’il est plus correct de dire: « quelle heure est-il ? », ou simplement « il est quelle heure ? ». Peu de gens savent que cette tournure est régionale, et on ne la trouve d’ailleurs dans aucun dictionnaire spécialisé. En savoir plus : Français de nos régions.

Le Dictionnaire des régionalismes de France indique : à bonne heure (de bonne heure, tôt ; à cette heure) prononcé à c’t’heure (maintenant) ; à point d’heure (à une heure exagérément matinale ou tardive) ; à pas d’heure, à plus d’heure (trop tard) ; jusqu’à pas d'heure, jusqu'à plus d’heure (jusqu’à une heure exagérément tardive) ; entre l’heure (entre la fin de la matinée et le début de l’après-midi) ; tout à l’heure (de nos jours, actuellement) ; j’ai vu l’heure que ... (il s’en est fallu de peu que ...) ; une heure de temps : (durant une heure).

Une heure de grande écoute est une tranche horaire où l'audience est la plus forte. En anglais : prime time. Voir aussi : avant-soirée, créneau de jour. JORF du 18/01/2005.

Une heure-machine est une unité de temps de travail correspondant au travail d'une machine pendant une heure.

On lit une demi-heure, six heures et demie, un quart d'heure, six heures et quart, six heures moins le quart, un kilomètre-heure ou km/h.

Voir aussi : horaire, horloge, horodaté, horodateur, horodictique, horokilométrique, horométrie, horoscope, généthliaque.

Concluons en rappelant que si heure vient du grec hôra et heur du latin augurium, ces deux termes ont été souvent confondus tant était forte la croyance que le bonheur d’une vie dépendait de l’heure de la naissance et que donc naître à la bonne heure était une promesse de nombreuses bonnes années. En savoir plus : Académie française.

De leur côté, l’anglais year et l’allemand Jahr tirent leur nom d’une racine indo-européenne, jor-, qui pouvait désigner les années, mais aussi et surtout les saisons, appréhendées essentiellement par leur caractère cyclique. Cette racine est à l’origine du grec hôra, auquel nous devons, par l’intermédiaire du latin hora, le nom « heure ». Mais ce mot a d’abord désigné toute période de temps revenant régulièrement, les années, certes, mais aussi les saisons, les mois, les jours et les heures. Ce furent surtout les saisons qui intéressèrent les peuples de l’Antiquité, peuples essentiellement de cultivateurs et d’éleveurs. Dans la mythologie grecque, les Hôrai, que nous appelons improprement « les Heures », sont les filles de Zeus et de Thémis qui accompagnent les dieux et sont au nombre de trois puisque, aux temps archaïques, les Grecs ne comptaient que trois saisons, printemps, été et hiver. On invoquait surtout les deux premières, considérées comme les déesses de la vie et de la croissance. À ces sens s’ajoutait celui de « moment favorable, propice » et, le cours de la vie des êtres humains étant traditionnellement comparé au déroulement d’une année, ce même nom désignait aussi la jeunesse, puisqu’elle est considérée comme le plus bel âge, celui qui est gros de toutes les promesses de récoltes à venir. En savoir plus : Académie française.

La division en heures (du latin hora) était fondée chez les Romains sur le jour considéré comme temps de clarté. La durée qui s’étend du lever au coucher du soleil était divisée en douze heures. La sixième heure coïncidait avec le milieu du jour ainsi conçu, elle était toujours à midi. Mais les heures étaient variables selon les saisons : plus longues en été où il fait clair plus longtemps, et plus brèves en hiver. Cette division est restée dans l’usage ecclésiastique, avec les mots prime (première heure du jour), tierce (troisième heure), none (neuvième heure). Le mot sieste en porte aussi témoignage : il est emprunté de l’espagnol siesta (sixième heure). La sieste est donc le repos du milieu du jour. La division du jour (de minuit à minuit) en vingt-quatre heures égales date du Moyen Âge. Mais elle ne s’est généralisée qu’à la Renaissance, avec le perfectionnement des horloges et des montres, qui exigeaient des mesures constantes et indépendantes des saisons. Au contraire, l’ancienne division était appropriée aux cadrans solaires. En savoir plus : Georges Gougenheim.

La pensée de Pierre de Jade : J'arrive toujours à l'heure mais c'est rarement la bonne.



heurette

Au Moyen Âge, les formes heurete, horette, horeite, hurete ou encore urette ne supposaient pas un temps long : elles étaient couramment employées sans qu’il soit toujours facile de déterminer l’étendue temporelle qu’elles représentaient. Ainsi, dans son Comput (un ouvrage sur le calcul des calendriers), Philippe de Thaon en fait de minuscules laps de temps. Il écrit en effet : De momenz, d’atometes / Que apelum huretes, « De moments, d’atomettes, que nous appelons des heurettes ».

On notera avec intérêt que, deux siècles avant que ne soit attesté le nom atome, on rencontre cette forme atomete, utilisée pour désigner la plus petite division du temps, et présentée comme un synonyme d’heurette.

Un instant très bref, c’est encore le sens que Guyart des Moulins donne à heurette dans la première version française en prose de la Bible, où il écrit : Tant de richeces sont destruictes « en une heurete », pour traduire le latin una hora, un passage que la plupart des traducteurs modernes rendent par « en un moment » (Apocalypse, 18, 17).

Mais il arrive aussi qu’horette corresponde à peu près à notre heure. On lit ainsi dans le Dit du Besant de Dieu, de Guillaume le Clerc de Normandie : E une horette el cham labore (et il travaille une petite heure au champ). C’est ensuite par antiphrase et de manière plaisante que cette « petite heure » va désigner une durée longue et indéterminée.

En savoir plus : Académie française.



heureusement, heureux

L'adjectif heureux, heureuse, qualifie ce qui est favorisé par le hasard, le destin ou la nature ; ce qui apporte ou annonce quelque chose de favorable, de positif, un avantage quelconque ; ce qui a une conclusion satisfaisante, des conséquences positives ; ce qui présente un caractère harmonieux, un ensemble de qualités correspondant à certains critères d'appréciation ; ce qui a un rôle bénéfique, suscite un jugement favorable ; quelqu'un qui se trouve dans un état de bonheur, de satisfaction, d'épanouissement ; ce qui exprime, donne ou favorise le bonheur ; quelqu'un qui semble éprouver, manifester du bonheur. Ce mot est dérivé d'heur.

L'adverbe heureusement signifie d'une manière opportune ; d'une manière naturellement avantageuse, favorisée par la chance ; de façon à produire des effets positifs, avec succès ; d'une manière ingénieuse, harmonieuse (par hasard ou comme par l'effet du hasard) ; de manière bénéfique, propre à susciter un jugement favorable ; de façon propice ; dans un état de bonheur, d'une manière pleinement satisfaisante

L'adjectif bienheureux, bienheureuse, signifie qui représente une chance très favorable ; qui est signe ou promesse de bonheur. L'adverbe bienheureusement signifie de façon bienheureuse ; pour son bonheur ; dans un état de grande satisfaction. Une bienheureuse, un bienheureux sont des termes religieux désignant ceux qui ont été élus, qui jouissent de la béatitude éternelle ou ceux qui ont été béatifiés par l'Église, mais non encore canonisés.

L'adjectif malheureux, malheureuse, qualifie quelqu'un qui n'est pas heureux ; ce qui n'est pas favorisé par la nature, les circonstances ou le destin ; ce qui est sans importance, mérite peu d'attention ; ce qui n'est d'aucune efficacité ;quelqu'un qui se trouve dans un état de malheur, de peine, d'affliction. L'adverbe malheureusement signifie d'une manière malheureuse ; d'une manière misérable, affligeante, digne de pitié ; d'une manière malencontreuse, fâcheuse ; d'une manière qui donne de la peine, du tourment, du malheur ; (en début de phrase) par malheur , hélas. Une malheureuse, un malheureux sont ceux qui sont dans une situation pénible, douloureuse ; ceux qui inspirent la pitié.

Le verbe féliciter est emprunté au bas latin felicitare « rendre heureux ».



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